Eduard IBANEZ - "Au sens figuré" ou "En sentit figurat"
Après une première rencontre à Vrais Rêves au cours de l'année 2000, lors d'une carte blanche offerte à la galerie Spectrum de Sarragosse, nous avons décidé de poursuivre une relation plus étroite avec Eduard Ibanez car son travail nous avait beaucoup touché et intéressé. Nous poursuivons encore, à ce jour, cette aventure commune qui se poursuit encore aujourd'hui en 2024 !
Cette exposition de Eduard IBANEZ est la quatrième présentée à Vrais Rêves. C'est effectivement une résurrection attendue de notre ami Eduard Ibanez!!
"Au sens figuré" ou "En sentit figurat"
50x50cm puis encadré
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Notre visage, nos organes, nos membres sont, avant tout, des éléments d'un corps qui ressent. Des parties d'un corps qui ressent tout en étant englué par sa complicité physique avec le monde, d'un corps qui ressent tout en étant circonscrit par d'autres corps et d'autres visages. C'est de cette conception de la sensation, annoncée par des travaux photographiques antérieurs, que c'est servi Eduard Ibañez pour développer ce dernier travail intitulé Au Sens Figuré.
Images de sensations
"La prendre entre les doigts
c'était comme saisir le néant ." A. Baricco
Notre visage, nos organes, nos membres sont, avant tout, des éléments d'un corps qui ressent. Des parties d'un corps qui ressent tout en étant englué par sa complicité physique avec le monde, d'un corps qui ressent tout en étant circonscrit par d'autres corps et d'autres visages. C'est de cette conception de la sensation, annoncée par des travaux photographiques antérieurs, que c'est servi Eduard Ibañez pour développer ce dernier travail intitulé Au Sens Figuré.
Alors que notre perception de la réalité n'est de plus en plus souvent que le reflet distant d'un écran lumineux, Eduard Ibañez propose pour recouvrer notre conscience sensitive et l'instantanéité de notre relation sensorielle avec la réalité, une approche de la capacité perceptive de l'être humain.
Ainsi ses images photographiques veulent représenter les images d'un discours intérieur, le vocabulaire d'un langage intime qui s'articule par le contact du corps aux contours durs du monde et à la présence évanescente d'autres corps.
Pour représenter ce caractère complexe et divers de notre contact sensoriel avec la réalité, Eduard Ibañez construit ses photographies comme un palimpseste où se superposent différentes images et textures qui produisent une espèce de syntonie et de synesthésie entre le visuel et le tactile. La superposition des images est réalisée grâce à un procédé de glacis et de transparences qui confère une certaine ambiguïté à la présence de formes organiques. Les photographies nous semblent ainsi dotées d'une énigme perceptive qui magnétise nos yeux et aimante nos doigts. Ainsi la stratification des images dans la composition de chaque œuvre deviendrait le sédiment d'un échange sensoriel avec la réalité, la trace originelle des sensations.
Nietzsche a attribué la formation des premières métaphores à l'extrapolation en image de l'influx crée par une sensation. C'est ainsi que les images photographiques des œuvres réunies dans Au sens figuré paraissent acquérir cette qualité "préconceptuelle" et métaphorique qui exprime les relations des choses par rapport aux hommes. Eduard Ibañez exalte notre capacité sensorielle dans ses photographies en ne l'appréhendant pas comme une simple qualité réceptive mais comme la configuration d'un sens. Un sens métaphorique et originel qui est comme l'étincelle qui jaillit entre la sensation et ce qui est ressenti.
Peut-être la forme la plus claire de cette fusion sensitive est-elle celle qui surgit au contact physique de deux corps. Comme on le perçoit dans les photographies réunies dans la série Je te sens si près, au delà de la jouissance fétichiste du corps de l'autre, ce qui surgit de cette rencontre c'est ce que Roland Barthes a décrit comme l'embrasement du sens. Le jeu de l'amour est un jeu du sens parce que le corps opaque de l'être aimé y revêt l'apparence d'une expression et rend sa peau diaphane, telle la réponse apportée dans le dialogue entre le toucher et ce qui est touché.
Dans bien des photographies de Au Sens Figuré l'artiste a recrée une capacité de transparence des corps –de leurs mains, de leurs oreilles, de leurs têtes-; une caractéristique visuelle présente de manière particulièrement significative dans quelques unes des œuvres qui composent les Images Endoscopiques; Avec ce recours à la transparence l'auteur veut suggérer à quel point tout ce qui nous entoure se mue, par le biais de notre relation sensorielle et perceptive, en une espèce de prolongement de notre corps. Que la texture des tissus se confonde avec celle de la peau, que le pavillon d'une oreille se dilue dans la cavité d'une conque, voilà des images propres à révéler jusqu'à quel point les choses ressenties sont incrustées dans notre chair. Notre corps est un être englué dans les choses, non pas captif, mais confondu, entrelacé avec la chair du monde parce que, comme dirait Merleau-Ponty, le monde et le corps sont faits de la même matière.
Mais l'inhérence de ce qui ressent à ce qui est ressenti, qui naît du frôlement de notre contact abrasif avec le monde, entend toujours une usure qui n'est pas tant un effacement de notre peau tel celui d'une cicatrice, qu'une sorte de mémoire fortuite et exposée aux autres. Telles que les photographies réunies sous le titre de La Peau Erodée nous le montrent, cette mémoire épidermique, bien loin des denses évocations proustiennes, est un signe austère inscrit dans les plis et les sillons des mains. Mains burinées et âpres qui ont été choisies parce qu'elles représentent, mieux que tout autre sens, la fidélité de l'être humain au monde, vécue parfois dans le plaisir, parfois dans la douleur.
Tant dans la série La Magie du Fakir que dans celle Des Sacrifices et des Sacrifiés, Eduard Ibañez traite le thème de la douleur comme une composante essentielle de notre capacité sensitive, préalable à tout autre forme d'appréciation morale. Si dans la première d'entre elles on nous parle de la douleur, sous sa forme purement physique, comme de quelque chose qui peut être dominé –c'est ce que représente le personnage du fakir-, dans la seconde l'exposé nous mène à la dimension vitale et existentielle de la douleur.
Dans les photographies de la série Des Sacrifices et des Sacrifiés , les plaies et les blessures causées aux pieds, cette partie si souvent absente de l'évocation habituelle de notre corps, sont une allégorie du supplice muet et intérieur de la douleur. Ces blessures qu'on nous montre ouvertes et les chairs à vif, sont plus une affirmation de ce que ressent l'être humain que celle d'un corps succombant dans sa faiblesse. Le monde blesse et nous fait souffrir, mais en fin de compte ce n'est pas de ces déchirures qu'Eduard Ibañez veut nous parler, mais de celles que l'autre nous cause et que nous lui causons.
Texte de ENRIC MIRA PASTOR
(Extrait du catalogue "En sentit figurat" bilingue)
Traduction de Pierre Saillard et Annie Balbo que nous tenons à remercier.