Jean-Charles GROS - "Une archéologie industrielle"

Une rencontre comme nous en connaissons de nombreuses durant les heures d'ouverture de la galerie. Jean-Charles GROS, photographe depuis quelques décennies que nous connaissions est venu nous présenter son travail personnel. Un travail surprenant dès le premier contact car d'une grande qualité. Ce n'est pas toujours le cas !
Travail aussi très organisé allant de la découverte d'un grand espace, le site industriel, au plus petit objet, puis à l'outil l'ayant peut-être créé, outil finalement portraituré et mis en scène. L'idée de "collection" naît de ces portraits d'outils et de leurs mises en scène. Inutile je pense de préciser que tout celà résiste et retient toute l'attention du regardeur grâce à la qualité graphique et la richesse de la matière. Le tout est à découvrir !



 
"Une archéologie industrielle"
Polyptyque de 50x120 cm

Mots-clé associés
noir.et.blanc, argentique, archéologie, matière, mémoire, nuit, chaos






 

À l'heure où la nuit vient juste de se replier dans ses ombres,  j'aime à flâner sur les chemins. Instant d'éveil, entre pierres et arbres, un paysage s'ouvre: Il est rude et minéral. C'est un plateau de calcaire gris, un décor raboté, un décor tranché, un décor fracturé.
L'épaisseur du temps s'est accompli depuis les derniers assauts des hommes sur la roche, seuls leurs fantômes errent encore dans ce paysage à l'antique. Comme un archéologue explorant un vaste théâtre de mémoire, j'ai vu, j'ai photographié une cité oubliée, une Atlantide noyée en pleine terre du midi.



La nuit s'est repliée dans ses ombres lorsque j'emprunte la voie des vieilles carrières de Ruoms. La clarté du jour progresse paresseusement entre les pierres et les arbres que le mistral malmène déjà. Brusquement un paysage rude, aride et minéral s'ouvre au delà du chemin.
Un soleil bondissant irradie ce vaste plateau de calcaire grisâtre, décor raboté, tranché et fracturé il y a bien longtemps par des générations de carriers.
Sous un ciel fiévreux, la lumière, en dévalant les parois de la carrière, éclaire d'un versant à l'autre, les fronts de tailles délaissés. Par les failles du pavement rocheux, une terre brunâtre s'est engouffrée où s'enivrent quelques buis. Dans cet espace vibrant de chaleur, reposent des stèles de pierres aux allures d'effigies médusantes. Échoués, s'éternisent encore ça et là d'imposants blocs de pierre.
Dans ses diaclases, de fougueux genévriers prospèrent. S'élèvent, épars, des fragments de colonnes sur lesquels ne repose plus qu'un ciel alourdi de nuages. D'imposants monolithes, des linteaux et fragments de monuments, se noient dans la végétation. Par endroit les pluies ravageuses d'automne se plaisent à graver d'inexplicables figures. Sur cette lande pierreuse, les cabanes des carriers, aux roches veinées, se prennent désormais pour des dolmens néolithiques; les ombres, autour, basculent en formes géométriques, affirmant stries, incisions et éclats.
Dans ce panorama marmoréen, où plus rien ne reste de la chorégraphie ouvrière, seuls, à l'abandon, les sédiments d'une production lapidaire s'embrasent encore sous un soleil persistant.
Dans les sols, j'ai puisé les artéfacts de l'outillage des carriers gangréné de rouille. Sur des drapés improvisés aux tombées linéaires et plissées, j'ai déposé bouchardes, layes, taillants, têtus, broches, coins et ciseaux.
Par la complexité des lignes, des plans et des surfaces, Je me suis égaré dans la cartographie incertaine des lieux.
L'épaisseur du temps s'était accompli depuis les derniers assauts des carriers sur la roche. Maintenant au milieu du silence brisé seulement par les assauts du vent, s'éveille à nous la fulgurance des matières, dessinant un paysage à l'antique.
Comme un archéologue explorant ce vaste théâtre de mémoire, j'ai vu une cité laborieuse oubliée, comme une Atlantide noyée en pleine terre du midi.

Jean-Charles Gros

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