Jean-Baptiste CARHAIX - Danses macabres, trophées et autres vanités

Mes travaux photographiques depuis 1981, imprégnés de la représentation de la Mort attestaient de mon sérieux… sens de l’humour, un humour macabre ! Dans la série The Sisters of Perpetual Indulgence (1981-1983 : reportages / 1983-1993 : mises en scène) j’abordais la relation d’Eros et Thanatos au temps du Sida. Dans la série Danses macabres, Trophées et autres Vanités (1992-1993) je brodais des variations sur des crânes et des squelettes et parfois je dansais avec un squelette ou bien allongé par terre, j’étais veillé par le même… comme autant de postures apotropaïques.
En 2009, j’exposais la série Couleurs de la Mort, Poétique de Barbie et Mickey Business. En cette même année et suite aux travaux antérieurs, je délègue à des enfants entre 3 et 12 ans, l’audace et le plaisir de « faire la nique à la Mort » devant mon objectif.



 
Technique
Argentique Noir et Blanc conventionnel
Texte
CV-Resume
jean-baptiste-carhaix-photographie.fr
Autres séries
Danses macabres et autres vanités
Image argentique 40x50cm

Mots-clé associés
noir.et.blanc, argentique, nature.morte, temporalité, poésie, baroque, dérision, disparition, humain, mise.en.scène, objet, vanité






 

DES VIVANTS ET DES MORTS
Pendant dix ans, Jean-Baptiste Carhaix a photographié les soeurs de la perpétuelle indulgence, un groupe d'homosexuels militants de San Francisco. La plupart sont atteints du Sida. En août 1989, il les couche pour une dernière photographie. C'est "Le grand sommeil". Le rideau tombe. En 1992, le voile funèbre se lève sur un couple de squelettes. Dans l'atelier transformé en "scène noire de l'imaginaire", il file le thème de la mort.



DES VIVANTS ET DES MORTS
Pendant dix ans, Jean-Baptiste Carhaix a photographié les soeurs de la perpétuelle indulgence, un groupe d'homosexuels militants de San Francisco. La plupart sont atteints du Sida. En août 1989, il les couche pour une dernière photographie. C'est "Le grand sommeil". Le rideau tombe. En 1992, le voile funèbre se lève sur un couple de squelettes. Dans l'atelier transformé en "scène noire de l'imaginaire", il file le thème de la mort. Son sujet se construit presque seul, une image en entraînant une autre. Elles naissent, en effet, d'un état de suggestion éveillée. Aux accouplements succèdent les pietas, crucifixions, nativités. Les squelettes disparaissent, laissant place aux trophées et vanités pour finalement réapparaître dans les autoportraits.
L'iconographie religieuse croise les nature-mortes des Caravagesques italiens et flamands, Goya et ses accessoires de la séduction - mantille et éventail - d'un érotisme morbide. En photographiant des mises en scène d'objets inspirées par des oeuvres d'art, Carhaix conjure encore un peu plus la réalité. Malgré la théâtralité des Soeurs, costumées à la ville, il avait déjà éprouvé le besoin de les mettre en scène dans des tableaux photographiques inspirés par les oeuvres de Rude, Géricault, du Bernin... Les citations d'oeuvres d'art transposent de la même façon l'abrupte réalité des squelettes anatomiques dans l'ordre du symbolique. Il les entraîne sur sa scène intérieure dans des décors du Bernin, des symbolistes... Bien que portés, soulevés par une débauche de voiles noirs, installés en équilibre dans des compositions dynamiques, ces deux personnages restent ensevelis, emmurés. L'atelier-catafalque se fait chambre noire de l'âme. Grâce à l'imagerie d'art, Carhaix transforme les squelettes en images "originelles" tout comme les mythes donnent une forme psychique, primaire et universelle, aux expériences naturelles. Dans cette pièce picturale, les associations d'idées sont libres. Le photographe livre ses personnages-squelettes à sa fantaisie avec autant plus de facilité qu'ils n'ont pas de nom. A l'instar du rêve, le théâtre masque ce qu'il
révèle. Nous sommes loin des menus plaisirs de certains photographes contemporains qui s'ingénient à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Jouant des possibilités infinies de trucage qu'offre la technique photographique, ils rabaissent la fiction à sa plus simple acception, le mensonge. Carhaix, en revanche, à l'image de quelques rares prédécesseurs comme Jérôme Bosch ou, plus près de nous, Luis Bunuel, sait reconnaître dans les figures de l'imaginaire le substrat qui irrigue notre vie psychique. La fiction n'est pas ravalée au rang de pauvre mensonge ; elle incarne une vérité intérieure.
La raison, en effet, entre pour si peu dans la génèse des images que l'interprétation de l'artiste va souvent à l'encontre du sentiment des spectateurs. Ne voyait-il pas dans les Soeurs de la perpétuelle indulgence les "anges tutélaires" de San Francisco alors que ces travestis iconoclastes provoquaient des réactions d'horreur. Les photographies ne coïncident pas avec le discours conscient. De l'Eglise il ne veut retenir ni les actes de foi, simples superstitions, ni les pompes. Il garde la leçon d'humanisme donnée par les Evangiles. Mais il se tient à distance de la réalité et retient l'esthétique et les thèmes du Baroque, spectacle de l'irrationnel donné par l'Eglise de la Contre-Réforme. Pour les tourner en dérision ? Rien de moins sûr. Le délire mystico-sexuel des Soeurs de la perpétuelle indulgence pouvait encore passer pour une charge contre l'Eglise. A présent, il n'est plus question de religion mais de mort. Pourtant l'esthétique et les thèmes restent les mêmes. Tout comme les mystères de la religion catholique mettent en jeu les grandes figures de la vie symbolique, ses images mettent en scène différentes instances de la vie psychique.
Il ne nous appartient évidemment pas de connaître le sens particulier de cette séquence imaginative. Seul nous concerne sa portée générale. Qu'est-ce que cette vie des morts ? Certainement pas une spéculation sur l'au-delà. A l'inverse des gisants endormis dans l'attente de la vie éternelle, les transis du
 
Moyen-Age et les squelettes de l'âge baroque représentent la mort active, la grande Faucheuse des temps de fléau. Cette danse macabre serait-elle le refus, la négation de la mort des Soeurs ? L'artiste leur prêterait alors un simulacre de vie. A moins qu'il ne nous parle d'une bien plus étrange opération de l'esprit. Pour trouver un arrangement avec l'intolérable, pour que les morts puissent vivre, nous leur offrons de vivre en nous. Notre corps devient le tabernacle des âmes mortes. Alors nous aimons de l'amo ur qu'ils ont porté ; nous souffrons de leurs douleurs. Nous les "mangeons" pour qu'ils parlent et qu'ils sentent par nous.
Nous leur faisons place jusqu'à devenir, pour partie, ce qu'ils ont été. Comme me disait une voix dans un rêve : "Quand on descend vers la lumière, il faut emporter avec soi les ossements de ses morts".
Mais si ces danse s macabres, ces natures-mortes et ces autoportraits ne montrent que le dialogue qu'entretiennent les vivants et les morts, pourquoi Jean-Baptiste Carhaix écrit-il "J'ai mis en scène ma propre mort" ? Les squelettes et les Soeurs vivent la même passion. Le plaisir est l'oeuvre du diable. C'est avec le Grand Bouc que les corps s'unissent avant de s'abandonner aux supplices du martyre. Puis c'est à nouveau le grand silence. Le trône doté des attributs du pouvoir - cornes, peau de tigre - est vide. Ainsi, la mort dont nous parle Carhaix c'est la maladie de l'âme. Ses squelettes sont les ombres qui s'agitent dans notre nuit intérieure, tout ce qui nous empêche de vivre.
A la différence des Surréalistes qui analysaient l'inconscient avec les outils intellectuels de la, psychanalyse, Carhaix, en puisant dans un fonds iconographique commun, donne une image aux figures de l'inconscient. Au delà de leur sens particulier, elles nous touchent car elles mettent en scène des instances de notre vie psychique. Ses photographies sont faites de la matière de nos rêves.

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