Burning Instants peut se traduire de deux manières différentes : «les instants qui brûlent» ou «en brûlant les instants». Toute la problématique sous-tendant cette série se trouve ainsi résumée dans ces deux versions.
Tout d’abord, Burning Instants se veut une expérimentation photographique où des objets sont livrés au feu et sont capturés au moment où l’embrasement semble photographiquement le plus intéressant. On voit donc ici réapparaître cette notion d’instant décisif si chère à Cartier-Bresson, car le feu n’attend pas et le photographe doit être à l’affût, les combustions étant particulièrement rapides et capricieuses. Les prises de vues sont réalisées en argentique, avec un boîtier 6X7 non motorisé. Cela signife donc qu’il faut être sur le qui-vive et déclencher au bon moment. Parfois, malgré toutes les prévisions et les précautions, le processus est tellement soudain que la prise de vue, entre la mise à feu et le déclenchement, est impossible, et il ne reste plus qu’à contempler l’objet soudainement dévoré par les fammes qui lui ôtent toute forme et le rendent méconnaissable. A deux reprises au moins, ces tentatives avortées ont failli mal tourner. Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…
La procédure de travail est extrêmement balisée et obéit à des règles de sécurité strictes : Burning Instants est réalisé dans des sites abandonnés aux matériaux diffcilement infammables. Au départ, je travaillais avec une assistante que j’ai révoquée, car le fait de lui demander des actions particulières m’empêchait d’entrer en méditation, ce qui est essentiel dans tous mes travaux photographiques. J’ai donc dû développer une technique de mise à feu à distance, car il est impensable de bouter le feu à deux ou trois mètres et d’imaginer revenir à l’appareil pour déclencher.
Burning instants ne s’arrête pas à l’aspect matériel d’une expérience photographique. En effet, un soubassement philosophique détermine cette série et lui donne, peut-être une signification plus profonde qui puise ses vérités et ses contradictions dans mon propre être. Quiconque réféchit sur le sens de l’existence se trouve confronté à la fuite du temps. Plus l’âge avance et plus ce défilement semble s’accélérer. En vieillissant, le sentiment de
ne jamais pouvoir mener à bien tous ses projets se fait plus prégnant. Ainsi, les secondes, les minutes, les heures semblent se consumer à une vitesse folle et ce bûcher où notre propre être semble s’évaporer lentement, mais sûrement, nous contraint à réitérer en continu notre propre mort à dose homéopathique.
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Ne sommes-nous pas le siège de paradoxes étonnants, puisque nous naissons pour mourir, que nos cellules se développent pour se détruire et que le temps qui avance nous construit en nous promettant une inévitable et radicale dégradation? Burning Instants vient donc souligner par méta-phore ce feu vital qui, à la fois, entretient notre existence en renouvelant toutes les particules de notre organisme et du vivant qui nous entoure, mais en même temps, sape minutieusement nos forces vitales et fnit par nous réduire en cendres.
Toutefois, Burning Instants ne se contente pas de mettre en évidence l’aspect délétère de notre passage ici-bas. Il en propose également une vision optimiste, car même si notre survie est limitée sur cette terre, il n’est pas vain de croire qu’à chaque instant, nous survivons à nous-mêmes, et que tout au long de notre vie, sans cesse, nous devons mourir à nous-mêmes, nous anéantir dans notre propre autodafé, pour renaître pareils à nous-mêmes, sans doute, mais pourtant différents. Ainsi se trouvent convoqués, dans Burning Instants, le mythe du Phénix, dont on sait qu’il ressurgit de ses cendres, mais également la volonté de puissance si chère à Nietzsche.
On trouvera dans Burning Instants toutes sortes d’objets livrés au pouvoir dévorateur des fammes : des photos de famille, des meubles, des bateaux, des vêtements, des draps de lit,… Ces éléments récoltés sur des brocantes, des magasins de seconde main ou sur les collectes d’encombrants sont autant de souvenirs ramenant à des éléments intimes de l’existence qui, tôt ou tard, sont refoulés hors du giron familial et deviennent inutiles, voire bons à brûler.
Apparaît, par ce travail de récolte des objets destinés au feu une autre dimension de Burning Instants, qui est celle de la nostalgie, de la perte et de la disparition, puisque les artefacts collectés, désormais coupés de leurs propriétaires légitimes, sont privés de sens et deviennent insensés. Ce travail sur la mémoire et la déshérence rejoint par bien des aspects toute une réfexion menée dans l’ensemble de mes travaux rassemblés sous le titre Humazooïques. Plusieurs séries, dont, notamment, « Les Archives Solipsistes », mettent l’accent sur la fuite du temps et son effet d’aliénation sur les êtres et les objets. Mais apparaît également toujours en fligrane la volonté, par l’art, de rendre vie à la mort par la force rédemptrice de la création artistique, ce qui, cette fois-ci, participe du mythe de Faust.
Willy Del Zoppo - Avril 2013
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