AVERTISSEMENT
Peut-être avez-vous remarqué que le titre apparaissant sur votre écran est différent de celui annoncé sur les documents et sur le carton d'invitation. En effet le titre prévu est bien
"PATRICK BUTTICKER passeur de désirs ou la morsures des mémoires".
Or notre logiciel de gestion du site Vrais Rêves ne l'accepte pas : trop long. Nous l'avions validé mais nous n'avions pas prévu cette limite de l'informatique. Nous nous en excusons.
Vous trouverez cet avertissement dans tous les chapitres prévus.
Anthologie de suppléments
On va tout de suite dire les choses qui fâchent, les choses qui fâchent, c’est pour l’hiver ! Patrick
Butticker est décédé. En tant que son fils, je ne sais pas comment on dit mort tant il n’est plus depuis le
3 janvier 2014. Cela fait huit ans. Et cette exposition qui propose une quantité infime d’œuvres
ramassées ici et là est comme une manière de bouquet pour cette exposition qui s’ouvre en même temps
que les premières fleurs.
Pourquoi cueillir des fleurs ?
Parce que depuis un tout petit plus d’un mois, c’est le printemps ! Enfin !
Sont ici présentées des images appartenant à plusieurs séries. Brins d’ils, brins d’elles, La folle du logis,
Archéologique, E comme EROS. Des images coupées d’un ensemble, détachées, cueillies. Re-cueillies ici. Pascal Quignard écrit qu’on coupe les fleurs car « sacrifier, c’est offrir de la vie à la vie pour plus de vie. »
Considérons donc cet ensemble d’images comme un bouquet car il s’agit bien de se promener dans ce
printemps, de regarder ces images qui le fictionnent. Cet ensemble forme comme une anthologie
puisque, développe Pascal Quignard, « anthos étant la fleur, une antho-logie est une cueillette de fleurs
sélectionnées pour leur beauté. »1
Pourquoi cueillir ces fleurs ?
Parce qu’il s’agit « de détacher et de prélever […] le plus vivant ».
Et les images de Patrick Butticker sont très vivantes ! Elles nous rendent également plus vivants, nous
regardeurs, dans cette façon qu’elles ont de nous interroger, de nous interpeller, de nous déranger. Car
de fait, les images de Patrick Butticker nous font sortir de notre rang, de nous-mêmes, nous bousculent,
nous décoiffent ! Elles embrassent la vie toute entière, du ventre à la décomposition. C’est par le corps,
ses mises en scènes, que Patrick Butticker nous touche à l’épiderme : la peau est la trame, le vélin qu’il
questionne avec acharnement puisque le corps écrivait-il, c’est « le corps horizon du regard »2. Aux corps
à corps figurés succède le peau à peau entre le regardeur et les images.
Cette curiosité de voir, de regarder les horizons, passés et futurs, caractérisent l’imaginaire de Patrick
Butticker et en révèlent son insistance, son acharnement.
La série La folle du logis — l’expression attribuée à Malebranche désigne l’imagination — fouille en
deçà de la peau l’imagination à l’œuvre dans l’écriture. Ce que cette série montre, avec fertilité, c’est
bien que derrière le texte se cachent des images et derrière les images, la folle du logis ! Ce ressort
comme moyen de mieux voir, de percer, de pénétrer la vie. Les images pour mieux comprendre
l’Homme. L’Homme, la Femme, les entre-deux. La folle du logis comme figure de l’éros qui est à
l’origine d’une pulsion fusionnante et à la fois l’origine de la division. Sexe vient de « secare », ce qui
coupe, ce qui divise. Bataille écrivait que « ce qui est en jeu dans l’érotisme est toujours une dissolution
des formes constituées […], ces formes de [la] vie sociale, régulière ».3 Et les images de Patrick Butticker
viennent dissoudre les formes constituées et forment ces suppléments qui enrichissent le monde, qui
l’augmentent.
1 Pascal Quignard, Une journée de bonheur, 2017
2 Patrick Butticker, Peau-éthique, 2005
3 Georges Bataille, L’Érotisme, 1957
Mais tendons l’oreille, laissons-lui la parole et écoutons-le encore une fois parler de sa poétique qu’il
écrivait « peau-éthique ». La peau n’est pas qu’une surface mais une profondeur de vertiges. Paul Valéry
écrivait : « Ce qu'il y a de plus profond en l'homme, c'est la peau »4. À la fois frontière entre soi et le
monde, surface de contact, enveloppe de la présence, profondeur, la peau a toute la matière pour être
une peau-éthique et Patrick Butticker son archéologue. Écoutons-le donc se définir lui-même comme ce
prédateur qui augmente le monde de suppléments et est en quête d’une présence au monde :
« Dans la table de matière des arts, la discipline photographique inscrit un prédateur
arpentant la réserve d’images du monde et restituant un double en un travail de chasseur et
d’empailleur. Je ne possède pas ce goût des miroirs et en raison je fabrique des suppléments
au monde, non des compléments qui l’achèveraient mais des images en plus qui
s’organisent de leur imaginaire propre. »5
Nathanaël Butticker
4 Paul Valéry, L'Idée fixe, 1931
5 Patrick Butticker, Peau-éthique, 2005
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Je suis toi ...
Je suis toi, je suis le jeu. Entrer dans ta peau et dans ta tête, me faire ce que je suis toi,
défaire ce que tu es moi. Alors je joue. Le jeu de l’être et tu t’y prêtes. Jeu de l’enfant ou
du vieillard ? Jeu des courtisans ou des vierges ? Jeu de la femme ou de l’homme ? Ah
! l’extase des jeux dans la plénitude des corps ! Tu peux te cacher les yeux, observateur
indigné, moi, je te vois tout aussi bien même si je me cache aussi les yeux.
Jeu de cachecache alors ? Rappelle-toi quand tu comptais le temps 1 2 3 5 10 <--- A B C
Misère OxygèneBOOM ! Signes, mots, impressions, le palimpseste de mon imaginaire-
mémoire s’élance !
Précieux héritage asexué...
Aujourd’hui je suis l’oiseau nu dont l’inexpérience aérienne me retient au sol ; je suis un ange
déchu dont l’envol me ploie dans la fosse. Mon sein, mon sexe, mon dos et mes mains
m’emportent dans une danse imaginaire. Le jeu est mouvement : battement de l’aile
improbable, chaton qui se pourlèche, tortue qui sort de sa carapace ; je danse avec mon
corps, je danse avec mes os, je danse avec ton corps, je danse avec tes os et m’allonge
au sol : et tu viens avec moi. Aimes-tu notre danse macabre et païenne, petite starlette
squelette aux lunettes de soleil ? Nous pouvons rouler ensemble puisque tu ne te caches
plus. Entends le bruit de l’herbe sous nos cuisses, l’espace sonore des chapelles, le damier
froid des églises et la rudesse de la roche. Ne renie pas les colonnes des cheminées
fumantes, les ruelles étroites des villes et les murs de pierres. C’est la scène qui nous nourrit.
1 2 statue ! Je t’eus !
Car je suis deux désormais en pleine maturité de notre armature d’os et de chair, en
pleine alarme de notre esprit. Immobilité. Tu ne veux plus jouer ? t’interroges-tu. Chausse
tes talons aiguille, apprête ton porte-jarretelles et tes bas résilles, enfile ta chemise brodée
et au lieu de faire la sourde oreille en te glissant dans un panier d’osier et en remuant des
fesses, viens désirer être nous !
Domptons nos inquiétudes en chevaliers fiers. Moi, je me ficelle ton sexe au mien ;toi,
tu gonfles ta poitrine comme je gonfle mon ventre plein. Plein d’ils et plein d’elles.
Que c’est bien de ne pas exister encore.
Tu te rappelles, car toujours tu te rappelles, vieillard à la mine flétrie. Alors je reviens
à toi : voici la brindille avec laquelle tu voulus te renier, la feuille qui cachait
ostensiblement notre nudité, le tabouret en bois où tu te mouvais, le livre qui alignait
méthodiquement le tumulte de notre intériorité, les encadrements qui serraient notre
histoire et nous remuons ciel et terre. Toi, être assis pensif et déjeunant sur l’herbe,
prends et nourris-moi, moi, ton mannequin inexpressif, ta poupée au crâne rasé,
ta marotte sévère, ta chimère au rire débridé et ta statue des temps jadis. Je suis ton
Apparition, celle qui n’abandonne pas ton salut à toi-même ; ton Messager de l’Amour :
Hermaphrodite
devient moi et révèle toi.
Je suis là pour qui veut me voir
… et veux te joindre
Laure-Idris Butticker mars 2022
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