Alain HERVEOU - R.H 26-10

Alain Hervéou vit et travaille à Saint-Etienne (42)
Professeur de photographie depuis 1992.
Chargé de cours en photographie département Arts Plastiques de l'Université Jean Monnet à Saint-Etienne depuis 2001.
Organisateur en 1992 du Festival "Moment Contemporain" de Saint-Etienne.



 
R.H 26-10
100x80 ou 80x100 cm

Mots-clé associés
temporalité, corps, humain, mémoire, mort






 

Face au corps immobile de papa, seul, anéanti par le désespoir, une foule de questions m’assaillent. Absence, vacuité, sont parmi les sensations qui me viennent. Il repose là devant mes yeux mouillés, inerte, inhabité. Où est-il celui que j’ai tant aimé ? Où se trouve la force vitale qui tenait son être debout ? Maintenant il apparaît simple enveloppe. Plus aucun mouvement, geste, souffle ne le feront vibrer. Immobile, vide, désincarné, il n’est plus là.



 

 

Texte complet

 

Face au corps immobile de papa, seul, anéanti par le désespoir, une foule de questions m’assaillent. Absence, vacuité, sont parmi les sensations qui me viennent. Il repose là devant mes yeux mouillés, inerte, inhabité. Où est-il celui que j’ai tant aimé ? Où se trouve la force vitale qui tenait son être debout ? Maintenant il apparaît simple enveloppe. Plus aucun mouvement, geste, souffle ne le feront vibrer. Immobile, vide, désincarné, il n’est plus là.
Et cette dépouille même je vais la perdre, ne plus jamais pouvoir être en sa présence, la toucher, l’étreindre, lui parler. Alors je lui caresse le front, les joues, les lèvres, je lui prends les mains désormais rigides et glacées, je l’embrasse et lui cause. Je lui porte un hommage tendre, il le faut, ce sont les derniers instants où nos peaux entreront en contact. Il est nécessaire que je préserve, pour notre éternité, ces précieuses minutes. Que je puisse me remémorer ces derniers frôlements, ce dernier temps de l’amour.
Je dois faire des photographies, l’idée s’impose, témoignage du recueillement présent, de ce qui restera à tout jamais au bout de cet être admiré, adoré. Je veux lui rendre un hommage posthume. Au milieu de mes larmes et de mes tendresses je sors mon téléphone portable. Une foule d’images futures me hantent. Elles sont en relation avec celles que je lui connais, de son histoire, depuis sa jeunesse, jusqu’à maintenant, derniers instants. Je dois les réunir, je dois les relier, les mettre en boucle, pour rendre compte de lui.
La photographie convoque les souvenirs,  les extirpe du fond de nos êtres, gardienne de la mémoire visuelle. Faisant confiance à Balzac, il me faut capturer les spectres de mon père mort, prélever d’ultimes couches, pellicules de son essence. Téléportation finale d’une part de lui, indice, trace de son être inscrit sur le capteur numérique, traduit en binaire pour jamais. Me faisant l’Anubis de ce Fayoum personnel, je deviens les “Veilleuses de la nuit éternelle” chères à Malraux.
“La photographie rejoint l’intensité du souvenir et presque la réminiscence proustienne. Elle saisit, ici, ce que Lacan appelle “le trait unaire”, ce trait unique et inqualifiable qui est l’essence d’un être” écrit Roland Barthes.
Toutes ces références chavirent en moi, j’y entrevois la possibilité d’une mise en présence future. Le déplacement s’opère bien dans l’acte photographique. Les particules lumineuses, photons, matière réfléchie par les corps, transportée dans l’ éther, focalisée par l’objectif, produisent l’empreinte, la trace du sujet. Et lorsque mes yeux regardent cette photographie se joue à l’inverse la relecture de cette lumière fossile du ça a été me mettant en présence directe avec le sujet disparu. Je voyage alors dans le temps à la rencontre de l’autre qui n’est plus. La téléportation s’accomplie dans les deux sens du passé vers le futur et du maintenant vers le passé.
Mais et c’est là que le trouble s’imisce, la mort ne joue-t-elle pas sur le registre du voyage vers une dimension autre, inaccessible à nos sens, dont nous aurons la réponse plus tard. Il y a donc un double jeu à photographier la mort et à lui réinventer le vivant.
                                                     Alain Hervéou, avril 2010

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